Anthony Agostini, l’ex-directeur de la sécurité et des services généraux du Sporting Club de Bastia, évoque longuement dans CM Sport la faillite du club et sa part de responsabilité. Morceaux choisis.
« J’ai toujours eu les pleins pouvoirs en matière sécuritaire et je m’en suis servi pour remanier en profondeur le secteur, et limiter au maximum les incidents. Je ne peux pas en dire autant pour ce qui touche au secrétariat général. Le comité directeur avait particulièrement insisté sur l’importance des obligations de réserve hiérarchique, ainsi que sur le devoir de confidentialité. Les dirigeants étaient habitués à gérer directement un certain nombre de services. Ils n’entendaient pas se fixer un cadre trop rigide, ni avoir de comptes à rendre en permanence au public. Ces contraintes ont eu des répercussions constantes tant au niveau de ma marge de manœuvre que de mon expression publique. […] Certains dirigeants n’étaient, au départ, pas très chauds pour ma venue. »
Frédéric Hantz
« J’ai côtoyé Fred en tant que responsable des supporters, puis en tant que collègue de travail. Le fonctionnement au quotidien, et plus largement l’unité du club, s’étaient largement construits autour de lui. Au niveau du management sportif mais aussi de la communication, son apport a été inestimable. L’homme avait aussi sa part d’ombre, comme a pu l’illustrer le contentieux aux prud’hommes qu’il a cru ensuite devoir déclencher (et pour lequel il vient d’ailleurs d’être définitivement débouté, soit dit en passant). Reste que nous n’avons plus jamais retrouvé la stabilité que sa présence apportait. La tournure des événements survenus les années suivantes l’a, hélas, rapidement démontré… »
Le début de la défiance des supporters envers les dirigeants
« Début juillet (2015), le club avait – contre toute attente – été relégué à titre conservatoire. Et les dirigeants s’étaient alors murés dans le silence, sans aucune explication donnée au public. En désaccord complet avec cette attitude, et bien que ce ne soit pas dans mes attributions, j’étais monté au créneau dans les médias pour assurer aux supporters que nous serions réintégrés. La réunion (publique) se déroule 48 heures seulement après notre maintien dans l’élite. Malgré cela, la tension n’était pas retombée. L’impréparation complète de cette réunion et l’attitude des dirigeants – jugée arrogante, déconnectée d’un certain nombre de réalités et éloignée de l’esprit d’unité qui prévalait depuis 2010 – a fait le reste. »
« Je me sens trahi par ces mensonges publics répétés (nouveaux mouvements constatés dans les documents disponibles au greffe en décembre 2015, ndlr) mais aussi discrédité gravement dans mon action auprès des supporters. Le départ de Mathieu Cesari – qui était à l’origine de mon arrivée au Sporting – m’a alors isolé au sein du club. J’annonce donc aux dirigeants qu’il est hors de question pour moi de continuer de cette façon, que je me considère délié de mes obligations de loyauté. […] Les trois principaux décideurs m’ont demandé de rester jusqu’en juin. Ils m’ont assuré que l’on repartirait à l’intersaison sur des bases complètement nouvelles. J’ai voulu y croire… »
« Les supporters apprennent sur les réseaux sociaux les signatures pro de deux fils de dirigeants (en septembre 2016). Au-delà du reproche de favoritisme, c’est encore une fois le manque de transparence autour de ces opérations qui déchaîne le public. Comme à l’été 2015, les dirigeants ont estimé qu’ils étaient propriétaires du Sporting et que des patrons n’avaient pas à justifier leurs choix. […] Cette erreur stratégique a replongé le SCB dans un état de crise larvée, complètement soumis aux performances sportives. Avec Jérôme Negroni, nous avons immédiatement compris que tous nos efforts de l’intersaison pour restaurer une confiance précaire étaient réduits à néant. Et que la saison serait longue et pénible… »
La « pérennité du club » évoquée sur Via Stella
« Le président nous assure qu’en cas de descente, il n’y aurait pas de problème avec la DNCG. Que la vente de Djiku suffirait à passer en juin, que nous jouerions les premiers rôles pour remonter immédiatement en L1. Je n’ai aucune raison de douter de ces informations, qui correspondent aux éléments que j’ai en ma possession. […] Je sais que la dette Urssaf n’est pas de l’ordre de 13 M€, mais en réalité quatre fois inférieure à ce chiffre. Ces sommes sont, en outre, entièrement couvertes par moratoire. Une attestation confirme même que les échéanciers sont respectés. La DNCG elle-même, dans ses attendus de décembre 2016, vient de souligner les « efforts faits par le club pour réduire la dette sociale », nous autorisant ainsi à recruter à titre onéreux. Depuis ce passage, et pour la première fois depuis 5 ans, nous réalisons la vente d’un joueur au mercato d’hiver, Peybernes, pour 2 M€. Avec Djiku et Coulibaly, à l’intersaison, nous bénéficierions d’un capital joueurs certain. Enfin, je rappelle sur le plateau qu’en cas de descente, nous pourrions compter sur 4 M€ au titre du mécanisme d’aide à la relégation. Sur ces bases-là, je considère que nous seulement nous ne sommes pas à l’agonie financièrement, mais que même en perdant une bonne part de nos droit TV, le club serait pérenne en Ligue 2. »
« A l’époque personne ne savait qu’en début de saison, la 10e place avait été budgétisée au classement final en lieu et place de la 15e traditionnellement prévue chaque saison. De ce fait, le déficit d’exploitation généré ne serait plus, en cas de relégation, de quelques centaines de milliers d’euros, mais de 5 M€ minimum, rien que sur cette ligne ! De la même façon, c’est aussi en juillet, après l’appel, que nous autres salariés apprenons l’existence d’une dette auprès de la caisse de retraite à hauteur de 1,4 M€ et surtout, l’explosion de la dette fournisseurs, passée selon la DNCG de 2,4 M€ en 2015 à 6,05 M€ en juin 2017.
J’assume mon erreur. S’avancer sans avoir tous les éléments comptables a constitué une faute de communication dont je tiens à m’excuser auprès de l’ensemble des supporters. »
La vente de Mathieu Peybernes
« Comme les supporters, je n’arrive pas à comprendre comment, à ce moment de la saison (janvier 2017, ndlr), nous pouvons prendre le risque de vendre – qui plus est à un concurrent direct – celui qui était devenu la pièce maîtresse de notre défense. Je préviens que la révolution qui couvait risquait de finir aux portes du stade si ce transfert se réalisait. Les dirigeants considéraient quant à eux que le joueur était déterminé à partir et qu’à ce tarif (2 M€) c’était « plus que bien vendu ». J’entends encore deux d’entre eux dire à mon sujet : « Celui-là est contre nous ! ». J’ai alors posé clairement la question de savoir si le transfert était dû à un éventuel et urgent besoin d’argent. Il m’a été répondu que cela améliorerait simplement la trésorerie ou pourrait éventuellement couvrir… un litige aux prud’hommes. A aucun moment, un lien n’a été fait entre la vente et les dettes du club. »
L’échec de la reprise du club en Ligue 2
« Ceux qui ont refusé de réexaminer le dossier (Comex de la FFF, ndlr) savaient que le club ne pourrait s’aligner en National 1. Quelles qu’aient pu être les responsabilités des composantes du club dans les rétrogradations successives, la vérité est que nous avons été rétrogradés de 4 divisions dans des bureaux ! D’abord en nous refusant le droit de disputer le même nombre de rencontres que les autres clubs (match perdu sur tapis vert contre Lyon), et ensuite, en refusant de considérer un apport massif en cash de 5 M€, ce qui ne s’était jamais produit dans l’histoire du Sporting. […] Si au printemps dernier, les dirigeants avaient accepté de négocier avec les repreneurs un départ qui était devenu inéluctable, nous serions aujourd’hui dans le monde professionnel. La solution était locale. Il n’y avait rien à attendre des instances, où contrairement à ce que j’entends ces derniers temps, nous n’avons pas d’amis. Certains personnages, des clubs puissants comme le PSG et Lyon, n’étaient plus disposés à tolérer le Sporting tel qu’il a existé ces dernières années. Malgré une dette abyssale et un faux virement, tout avait été fait en haut lieu pour sauver Lens en 2014. La vérité est qu’absolument rien n’a été fait pour permettre à Bastia de relever la tête et de continuer à exister au haut niveau. »
Les incidents du match Bastia-Lyon
« Pour justifier la décision de Lyon, la commission de discipline a estimé que la « gravité des faits de l’avant-match » aurait pu, à elle seule, justifier l’arrêt définitif. On a ensuite « chargé » le dossier en remettant sur le tapis l’affaire de Lucas en début de saison, les cris de singe contre Nice en janvier et les fumigènes contre l’OM. Et surtout, on a justifié l’extrême sévérité du verdict en invoquant le refus systématique du club de livrer ses supporters à la justice, et du fait que le SCB serait le seul club en France à agir ainsi. »